- 2021 -
Professeur d’hématologie aujourd’hui, François-Xavier Mahon dirige le Centre de Lutte Contre le Cancer de Bordeaux Nouvelle-Aquitaine : l’Institut Bergonié. Il anime aussi une équipe de recherche dans l’Unité INSERM U1218. Il a participé à de nombreux programmes de recherche clinique et à de nombreuses communications Internationales sur la thématique de l’arrêt des traitements de la Leucémie Myéloïde Chronique (LMC).
L’arrêt du traitement a connu différents épisodes. Quels étaient-ils et où en est-on maintenant ?
Lorsque les patients ont commencé par être traités avec les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK), nous ne pensions pas que nous arrêterions le traitement un jour. Connaissant la maladie et sa chronicité, il était admis que c’était un traitement à vie. Nous avions cependant une petite expérience de l’Interféron α et de son arrêt éventuel, ce qui nous a permis d’oser proposer à des patients très sélectionnés d’interrompre leur traitement ITK.
En 2007, dans le journal Blood, nous avons publié le premier article relatant une étude pilote d’une douzaine de patients avec des résultats préliminaires encourageants...
Comment est venue l'idée à des chercheurs d’arrêter le traitement ?
En 2001, nous avons publié un article dans « JCO » (Follow up of complete cytogenetics remission in patients with chronic myeloid leukemia after cessation of Interferon α) qui reprenait notre expérience sur l'arrêt de l'interféron chez les patients qui avaient une réponse complète. A l'époque, nous n’avions pas l'outil moléculaire que nous avons maintenant. Parmi les patients qui étaient en réponse cytogénique complète, certains avaient une maladie indétectable avec la PCR, cette technique n'était pas quantitative. Elle était simplement qualitative, donc on disait « c'est positif » ou « c'est négatif ». Pour les patients qui étaient négatifs, nous avons eu l'idée de leur arrêter le traitement. Dans l'analyse que nous avons faite, nous avons montré que les patients qui étaient depuis plus de deux ans en réponse cytogénétique complète avaient moins de risques de rechute que ceux qui en étaient à moins de deux ans. Cette observation nous a donné l'idée du critère des deux ans pour proposer l’arrêt aux patients traités par ITK.
Selon vous, quel(s) bénéfice(s) peuvent retirer les patients de l’arrêt de traitement? Et en tant que médecin, quel est votre sentiment ?
Je pense que c'est satisfaisant de répondre à la demande des patients surtout quand ils vous disent : « C'est bien votre traitement, mais quand est-ce que je l'arrête ? ». Au début, on leur répondait qu’ils ne pourraient sûrement pas l'arrêter tout de suite. C'est satisfaisant pour un médecin de pouvoir arrêter un traitement parce que c'est le signe d’un succès thérapeutique.
L'autre bénéfice est lié au fait que les ITK ont des effets secondaires, et si on peut se passer d'un traitement qui a des effets secondaires, c'est toujours mieux et c'était une de mes motivations. Si l’imatinib entraîne beaucoup de petits effets secondaires sans gravité, avec les autres molécules, ce n’est pas toujours le cas. Certains ont des effets cardiovasculaires. C'est aussi satisfaisant en termes de qualité de vie pour le patient de ne pas avoir de nausées, de crampes et d’œdème des paupières.
Le médecin est toujours satisfait quand le patient a une meilleure qualité de vie.
C'est vraiment l'amélioration de la qualité de vie des patients qui anime le rapport du médecin avec eux ?
Oui et il y a des patients qui se sentent vraiment soulagés quand ils ne prennent plus leur traitement. Pour d'autres, c’est très différent. Dès qu'ils débutent le traitement, c'est leur roue de secours, ils s’y accrochent et n’ont pas envie de l'arrêter. Je cite ces cas de figure pour simplifier, mais il y a beaucoup plus de cas tous différents.
Pouvez-vous nous rappeler la récompense que vous avez reçue ?
Le prix John Goldman de iCMLf qui récompense les avancées importantes dans le domaine de la clinique de la LMC. J'ai aussi reçu le prix de l’ELN, European Leukemia Net, en 2015. Les Australiens ont publié un article après le nôtre, tout à fait similaire à nos travaux en termes de résultat avec les mêmes critères. Je ne peux donc pas oublier les Australiens. L'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud ont été assez cohérents dans cette stratégie et cela a été confirmé par les Coréens et les Japonais.
Quelles sont les dernières recommandations concernant l'arrêt de traitement ?
Pour arrêter le traitement, la première chose nécessaire est que le patient soit d'accord, il faut qu’il soit acteur. La seconde chose est qu’il soit en réponse moléculaire, c'est-à-dire qu'il ait une maladie résiduelle la plus faible, la plus basse, ce que nous appelons dans notre jargon « réponse moléculaire profonde ». Il faut surtout que cette réponse soit maintenue dans le temps, il ne faut pas que ce soit aléatoire et ce n'est qu’à ce prix que nous pouvons proposer cette possibilité.
Il faut avertir le patient, pour éviter sa déception, que le risque de reprise du traitement n’est pas négligeable. Le succès de l'arrêt de traitement n'est que de 50 %. Par conséquent, la moitié des patients sont amenés à reprendre leur traitement dans les mois qui suivent l’arrêt parce que le marqueur moléculaire remonte. Le message que nous leur donnons au début est que, heureusement, la maladie ne change pas et qu’à nouveau les patients redeviennent sensibles et que l’on peut alors éventuellement tenter un deuxième arrêt un peu plus tard. Lorsque les rechutes moléculaires se produisent, peut-être que nous avons arrêté le traitement trop tôt ou que d'autres facteurs que nous ignorons sont en jeu et qui font l'objet de recherches aujourd’hui. La grande question que nous nous posons encore est de savoir s’il existe des facteurs prédictifs qui permettraient d'anticiper le succès ou l’échec de l'arrêt de traitement.
La durée de traitement est la première chose que l'on a démontrée dans nos études. Le but a été de montrer qu'il fallait traiter pendant un certain temps, un temps certain. Vous allez me demander combien de temps ? Cela dépend des ITK. Il ne fait pas de doute que plus nous traitons longtemps, mieux cela vaut. Il est probable qu'avec les inhibiteurs de 2e génération, les meilleurs compromis soient de cinq ans avec l’Imatinib, à condition que la molécule soit bien tolérée, je serais plus patient et huit ans pourrait être un bon compromis.
Il est probable que la profondeur de la réponse joue aussi un rôle mais c'est assez difficile à démontrer avec les outils que nous avons aujourd’hui. Il y a des facteurs que nous ne connaissons pas, c'est-à-dire que, dans la constitution du patient, il doit y avoir des polymorphismes génétiques. C'est peut-être quelque chose qu'il reste encore à explorer. Des patients dont le système immunitaire leur permet de contrôler leur maladie devraient pouvoir être identifiés dans le futur.
Dans la durée du traitement, il y a évidemment la durée de la réponse qui intervient, mais il est difficile, du point de vue statistique, de dissocier ces deux facteurs temps.
Parce qu'il y a le fait de prendre le traitement, et là dedans, il y a le fait d'avoir la réponse moléculaire la plus profonde et cela représente au moins deux ans dans le cadre de cette prise de traitement ?
Oui, tout à fait. Ce qui compte, c'est à la fois deux paramètres, le temps et le fait d'avoir la réponse la plus profonde.
Mais alors quand vous parliez de cinq ans tout à l’heure, est-ce qu’il s’agissait de cinq ans de prise de traitement et de réponse ?
Ce que je dis, c'est au minimum cinq ans pour les ITK de 2e génération et je dirais plutôt huit ans pour l’Imatinib, depuis le diagnostic jusqu’à l'arrêt. Dans la nouvelle version des recommandations ELN, qui a mis du temps à paraître, il y a un consensus pour affirmer que le but dans cette maladie, c'est d'aboutir à l'arrêt du traitement, car c’est un gage de qualité de vie. On a mis du temps à imposer cette notion.
Si je comprends bien, le fait de maintenir la réponse profonde pendant toutes ces années est quelque chose qui vaut vraiment le coup ?
Oui, c’est sûr ! Certains patients oublient leur traitement au bout d'une semaine comme pour les antibiotiques, ou bien à la longue, ils prennent l’habitude d’arrêter de temps en temps. « La meilleure façon d'arrêter le traitement, c'est de le prendre ». C'est ce que je dis aux patients qui commencent leur traitement, et qui posent d’emblée la question de l’arrêt du traitement, de prendre leur traitement d'abord et que nous en reparlerons après.
Mais les patients aiment bien aussi être motivés pour pouvoir suivre le traitement à long terme, même si on ne leur propose pas l'arrêt. Cela leur donne un cap…
Je suis complètement d'accord parce que les hommes et les femmes ont besoin de défi à relever. Je crois qu'il n'y a rien de pire que de ne pas avoir de but. Mais l'autre élément que j'aurais dû mentionner et qui est illustré par notre échange actuel, c'est que nous n’aurions pas pu faire cela sans les patients, sans, justement, les associations de patients. Ils font partie de la prise en charge moderne. Cela se fait à l'échelon français mais également à l'échelon international. Nous n'aurions pas pu surmonter cette problématique d'arrêt de traitement si nous n’avions pas eu cette relation privilégiée avec des patients et les associations de patients. C’est bien sûr important d'avoir l'avis du patient, il est au milieu de tout, c'est lui qui se prend en charge et vous êtes là pour lui indiquer la route. C'est vrai que, tous les jours, il faut tenir mais je trouve que c'est un beau partenariat entre le médecin et le patient.
Est-ce que l'arrêt de traitement a été influencé par la pandémie mondiale ?
Je crois, un peu. Nous avons tous été prudents au début de la pandémie. Des articles publiés suggéraient que les ITK pouvaient peut-être protéger de la Covid-19. Nous avons alors pensé qu’il valait mieux, dans le doute, ne pas arrêter le traitement pendant cette période. Quand on arrête un traitement, il faut faire un suivi moléculaire assez strict. Or, dans une situation de pandémie où les hôpitaux se sont repliés sur eux-mêmes, où c'était compliqué de venir à l'hôpital et, pour les patients, de venir en consultation pour faire des prises de sang, c'était difficile d’effectuer un suivi moléculaire strict. Alors, nous avons préféré lever le pied sur les arrêts de traitement car un suivi moléculaire doit s’effectuer de façon rigoureuse.
Maintenant, les arrêts ont-ils repris un petit peu ou pas du tout ?
Ils ont repris un petit peu, je dirais avec une certaine prudence. Mais nous ne sommes pas revenus à la situation d'avant la crise sanitaire. Je pense que l'année 2021 sera différente. Ce serait intéressant de recenser le nombre de tentatives d'arrêts de traitement de la LMC entre 2019 et 2020.
Si vous aviez un message à donner aux patients à propos de l'arrêt de traitement, quel serait-il ?
La meilleure façon d'arrêter le traitement, c'est de le prendre. Il ne faut jamais désespérer. Même si on a déjà fait une tentative d'arrêt, on peut toujours en faire une deuxième, voire une troisième. C'est vrai que, lorsque l’on dit aux patients qu’ils vont pouvoir arrêter le traitement et qu’on leur annonce au bout de quelques mois que, finalement, il va falloir le reprendre, ils sont très déçus. J’ai vu des patients en larmes. Il faut les remotiver dans ces cas-là.
Donc les choses ne sont pas figées. C'est vraiment très important d'expliquer aux patients les tenants et les aboutissants de l’arrêt et ce qu'il risque de se passer dans l'arrêt de traitement.
Quel est le plus ancien arrêt de traitement ?
Il y a des patients qui ont arrêté l’Imatinib depuis 17 ans. Nous commençons à avoir un nombre grandissant de cas en arrêt depuis plus de 10 ans aussi. Au Japon, Naoto TAKAHASHI de AKITA a beaucoup travaillé sur ce sujet de l’arrêt des ITK. Continuer de donner des traitements coûteux à des patients alors qu'on pourrait les arrêter tout en faisant en sorte qu’ils bénéficient de cet arrêt, et investir cet argent ailleurs pour traiter d'autres patients est une prise de conscience.
On propose l'arrêt de traitement dans de nombreux pays sauf dans les pays en voie de développement qui n'ont pas toujours accès à la biologie moléculaire. Et là, nous devons rester extrêmement vigilants, nous essayons de progresser à l'échelle mondiale pour que les patients de ces pays-là soient aussi suivis.
Voir l'interview du Dr Gabriel Etienne sur les recommandations pour le traitement de la LMC
Voir l'interview du Pr Joëlle Micallef sur la LMC et les génériques