Praticien hospitalier au CHU de Poitiers dans un service d’hématologie clinique, le Professeur François Guilhot, Président d’honneur du Fi-LMC, est impliqué dans la LMC depuis plus de 30 ans à travers la prise en charge des patients et divers aspects de la recherche à travers de nombreux travaux fondamentaux sur cette maladie au sein de son unité de recherche. Le Professeur a contribué à de nombreux essais cliniques nationaux ou internationaux sur la LMC.
La survie des patients traités par inhibiteurs de tyrosine kinase est proche de la normale et on constate une augmentation nette de la prévalence de la maladie avec par exemple en Europe une
population de 400 000 patients suivis et traités à l’horizon 2050. L’un des effets importants de l’inhibiteur de tyrosine kinase est la capacité à bloquer l’évolution vers les phases plus
avancées de la maladie, telle la crise blastique.
La progression de la maladie n’est en général jamais observée lorsque le patient a obtenu la rémission cytogénétique complète, ce qui est le cas pour plus de 90% des patients. Grâce à la
prolongation du traitement, pris régulièrement sans arrêt, on peut maintenant observer des réponses moléculaires. La surveillance moléculaire des patients par la quantification du transcrit dans
le sang périphérique montre, qu’avec le temps, une fraction non négligeable des patients peuvent obtenir une rémission moléculaire profonde, à un point tel que le transcrit puisse ne pas être
détectable. C’est ce qu’on appelle la réponse moléculaire de type 4.5 (c’est le taux à partir duquel le transcrit est quasiment indétectable).
Dès lors si cette réponse moléculaire se prolonge suffisamment longtemps, par exemple 24 mois, on peut discuter l’arrêt du traitement. C’est ce qui a été proposé en premier aux patients français
avec des résultats très remarquables confirmés ultérieurement. On sait qu’à partir de l’arrêt du traitement, la probabilité de rester en rémission moléculaire profonde au-delà de 24 mois est
proche de 40%. Lorsque l’arrêt du traitement est proposé, aujourd’hui toujours dans le cadre d’essais de recherche clinique, la surveillance moléculaire est plus serrée, en général 1 test par
mois au minimum pendant 6 mois.
Extrait du 2e Livre blanc des États généraux de la LMC. Vous pouvez télécharger ce livre blanc gratuitement ici : https://www.lmc-france.fr/au-service-du-patient/le-2nd-livre-blanc-de-la-lmc-1/
Praticien hospitalier en hématologie au CHU de Bordeaux, le Professeur Mahon dirige également le Service du laboratoire d’hématologie et l’équipe Hématopoïèse leucémique et cibles
thérapeutiques à l’Inserm. Il participe à de nombreux programmes de recherche clinique et à de nombreuses communications internationales sur le sujet de l’arrêt des traitements de la
LMC.
Chez les patients en arrêt de traitement, on constate une hétérogénéité biologique avec trois situations différentes:
1) on ne détecte plus rien ;
2) on détecte un peu de maladie par biologie moléculaire et la maladie ne redémarre pas ;
3) on détecte une augmentation franche de la biologie moléculaire, et la maladie « redémarre », tout au moins sur le plan moléculaire.
Il serait nécessaire de mener une étude génétique pour identifier les mécanismes de ces différentes situations. La LMC reste un modèle pour cette analyse, les cellules tumorales étant
identifiables.
Nous n’avons pas la preuve que les rechutes soient dues à un mauvais contrôle du système immunitaire. Cependant, si l’immunité intervenait dans cet équilibre, nous pourrions facilement être
interventionnistes en stimulant le système immunitaire ; les travaux concernant l’immunité après arrêt de traitement doivent donc se poursuivre. Les autres origines des différentes évolutions
après arrêts font bien sûr également l’objet de recherche.
Pouvez-vous nous parler de ces perspectives ?
Tous les patients ne sont pas en réponse moléculaire complète et persistante pendant deux ans. L’objectif est donc d’augmenter le nombre des patients obtenant cette réponse, à qui l’on pourra
proposer un arrêt de traitement, sans diminuer leur qualité de vie par des traitements innovants pour arriver à cet objectif.
Pour approfondir la réponse moléculaire, deux possibilités existent :
• traiter en monothérapie avec un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) de deuxième génération mais à la condition que la toxicité ne soit pas supérieure à celle du Glivec ;
• imaginer des associations thérapeutiques. Par exemple, une association d’une molécule ciblant la cellule souche (anti-smo) au Tasigna est actuellement proposée aux patients ;
• mais le plus prometteur pour le moment, ce sont les combinaisons d’ITK à l’IFN (interféron).
Avantages et inconvénients des choix stratégiques : vers une décision partagée avec le patient
Il est nécessaire d’analyser les avantages et les inconvénients pour pouvoir choisir entre la prise d’un traitement à vie bien toléré - sachant que l’espérance de vie avec une LMC est quasi
équivalente à la normale - et la volonté absolue d’arrêter un jour son traitement (être guéri ?) au prix d’un traitement aux nombreux effets indésirables.
La volonté d’arrêt peut facilement être légitimée chez les patients jeunes, puisqu’on ne connaît pas les effets du Glivec à long terme. Il y a donc un travail à mener avec chaque patient pour
parvenir à une décision partagée. Des recherches dans le domaine des sciences humaines s’avèrent utiles pour avancer dans cette réflexion.
L’Université, le CHU et le centre anticancéreux de Bordeaux ont d’ailleurs été labellisés par l’INCa comme site intégré, et la thématique de guérison de la LMC fait partie des programmes mis en
avant au sein de cette structure de recherche.
Le dynamisme de la recherche clinique en France et la chance d’un Plan Cancer
Au cours des années 1990-2000, le gène bcr-abl a été identifié chez les sujets sains. Nous savons qu’il peut s’éliminer spontanément et avons aussi aujourd’hui la capacité de l’éradiquer. Nous
assistons à une évolution des connaissances de la maladie résiduelle, sur lesquelles les possibilités d’arrêt de traitement vont pouvoir s’appuyer.
Les objectifs de la recherche sur la LMC sont aujourd’hui aussi puissants que ceux de l’oncologie en général. La France, reconnue dans le monde pour la qualité et le dynamisme de sa recherche
clinique, est pilote dans la thématique de l’arrêt des traitements. Cette supériorité est liée à son système de santé favorisant la qualité de la prise en charge des patients.
Le Plan Cancer et la création de l’INCa associés à une forte volonté politique ont dynamisé la recherche en onco-hématologie. Cette dynamisation a été facilitée par un fort investissement des
laboratoires pharmaceutiques dans le domaine. Très impliqués à nos côtés, ils ont accompagné la réflexion et l’enjeu de l’arrêt des traitements. Nous avons avancé, notamment avec Novartis Pharma
et Bristol-Myers Squibb, sans écueils éthiques, dans cette démarche d’intérêts partagés.
Hématologue et docteur en immunologie, le Professeur Régis Costello est chef du service
d’hématologie au CHU La Conception à Marseille.
Se consacrant à l’hématologie depuis le début de son internat en 1987, il est impliqué dans la LMC à travers la prise en charge des patients et certains aspects de la recherche.
Le traitement de la LMC a été révolutionné par l’introduction des ITK. Leur emploi a été rendu possible par la connaissance précise de la cause moléculaire de la maladie, le fameux chromosome
Philadelphie, faisant de la LMC l’archétype de la maladie hématologique bénéficiant d’une thérapie ciblée. Pour les hématologues séniors qui ont connu les traitements antérieurs, peu efficaces à
long terme (hydroxyurée) ou difficiles à supporter (interféron), les nouvelles thérapies disponibles constituent un immense bond en avant grâce à leur grande efficacité et à leurs effets
secondaires, certes gênants, mais dans l’ensemble incomparablement modestes par rapport au passé.
Les traitements actuels font disparaître la maladie dans ses manifestations les plus visibles dans plus de 90% des cas. Mais cette absence de détection de traces de la maladie – ce que l’on
appelle la maladie résiduelle – ne permet pas d’affirmer que les patients sont guéris, car persistent le plus souvent des cellules leucémiques, en très petit nombre et peu actives, dont
l’expansion est peut-être limitée par une réponse immunitaire anti-leucémique. Aujourd’hui, les patients non répondeurs sont peu nombreux et nous suivons une majorité de patients qui vont bien
avec une maladie résiduelle de très faible niveau voire indétectable.
Notre discours a changé en moins d’une dizaine d’années. Nos patients peuvent se projeter sereinement dans le futur, et justement avoir des projets. Mais ce succès médical ne doit pas induire
d’arrêts spontanés du traitement, qui seraient préjudiciables à l’évolution de la maladie. A l’heure actuelle, le traitement ne doit jamais être arrêté, même en cas de disparition complète de la
maladie résiduelle, car, dans plus de la moitié des cas, la maladie va réapparaître dans les six mois. Des essais très contrôlés sont en cours justement pour déterminer chez quels patients et
dans quelles conditions un arrêt de traitement peut s’envisager.
La relation entre le centre expert du CHU et le médecin traitant de ville est un élément central de la prise en charge du patient. Si, au début de la prise en charge, le patient est contraint de
consulter souvent l’hématologue référent pour ajuster le traitement et vérifier son efficacité, la prise en charge hospitalière s’espace dans le temps, même si certains contrôles (PCR, caryotype)
nécessitent toujours des contrôles hospitaliers.
Le médecin traitant est néanmoins en première ligne notamment pour gérer les effets indésirables du traitement, toujours en rapport étroit avec le référent hématologue car il est utile de
rappeler que la LMC est une maladie rare et que, par conséquent, le médecin traitant a peu de chances d’être accoutumé à la prise en charge d’une maladie qui, dans la plupart des cas, ne touche
qu’une seule personne au sein de sa patientèle.
Les effets secondaires des ITK tels que la prise de poids, les oedèmes, les épanchements, les essoufflements, les palpitations, peuvent ainsi être gérés en ville de façon pluridisciplinaire et
avec prudence par le médecin traitant, avec le recours éventuel aux spécialités de cardiologie ou de pneumologie par exemple, en fonction de la symptomatologie.
Quelques très rares patients sont réfractaires à tous les ITK disponibles. La prise en charge de la LMC devient alors problématique. Pour ces raisons, la possibilité d’induire une réponse
immunitaire anti-leucémique fait partie des voies de recherche actuelles, à travers des vaccinations ou bien des immunostimulants (comme l’interféron).
L’allogreffe de moelle - ou, le plus souvent maintenant, de cellules souches du sang périphérique - reste un modèle d’immunothérapie : le greffon détruit les cellules de la LMC. Cette procédure,
qui était le standard de première ligne du sujet jeune il y a dix ans à peine, est néanmoins à l’heure actuelle réservée aux échecs des ITK à cause de sa toxicité et de la lourdeur pour le
patient.